Quand le web fait renaître le papier

75 ans après avoir été fermé par les franquistes, le journal Heraldo de Madrid ressort le 30 mars en kiosques pour un numéro unique.

27 mars 1939. Après près de trois ans de guerre civile, les troupes nationalistes dirigées par le général Franco sont aux portes de Madrid. Un groupe de phalangistes pénètre dans les locaux du journal, les armes à la main, avec un ordre de saisie. Le général Juan Yagüe avait déclaré que la première chose qu’il ferait en entrant dans Madrid ce serait « couper la tête au directeur » du journal. Si sa condamnation à mort est finalement commuée en prison à perpétuité, c’en est fini pour le Heraldo de Madrid, l’un des principaux quotidiens espagnols de l’époque. Tous ses biens, machines, matériel deviennent la propriété du Movimiento Nacional.

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Photo : Gil Toll

Fondé en 1890, le journal avait évolué d’une position libérale à un républicanisme clairement affiché, s’opposant à la dictature du général Primo de Rivera (1923-1930) puis au soulèvement militaire de juillet 1936. Le journal comptera dans ses rangs des collaborateurs prestigieux – réguliers ou occasionnels -, comme Manuel Chaves Nogales (1), Ramón del Valle-Inclán ou Federico García Lorca, fusillé par les putschistes un mois après le début de la Guerre civile. Le journaliste Gil Toll a publié un livre (inédit en France) sur l’histoire du journal, Heraldo de Madrid: tinta catalana para la II República española. Malgré de nombreux recours (le premier remonte à 1947), le retour de la démocratie et les lois successives sur l’indemnisation des entreprises spoliées par le régime franquiste, ni la société éditrice (Sociedad Editora Universal) ni les héritiers légitimes du journal n’ont jamais touché le moindre centime.

La presse est l’un des secteurs du pays les plus touchés par  les licenciements et les plans sociaux. Entre 2008 et 2012, ce sont plus de 8000 emplois qui ont disparu. Selon une étude de l’Association de la Presse de Madrid publiée en 2013, 197 entreprises de presse (journaux, revues, agences de presse, radios, chaînes de télévision, etc.) ont mis la clef sous la porte durant cette période, près de 5000 personnes ont été licenciées, mises en retraite anticipée ou reclassées pour la seule capitale, 51 % des journalistes étaient au chômage en 2012…

Cependant, des journalistes issus de titres comme El País ou Público, entre autres, se sont regroupés pour se lancer dans de nouvelles aventures journalistiques, principalement sur Internet. En offrant une information alternative à celle des médias mainstream, ces « nouveaux venus » ont réussi à s’imposer tant du point de vue éditorial qu’économique.

Sous la direction de Miguel Ángel Aguilar, ce sont justement plusieurs de ces médias qui se sont associés pour mettre sur pied ce numéro unique, en se répartissant les rubriques : eldiario.es et InfoLibre (politique), Alternativas Económicas et La Marea (économie et société), fronterad (international), Materia (science), Jot Down (culture), Revista Fiat Lux (faits divers), Líbero (sports) et Mongolia (humour).

(1) Manuel Chaves Nogales (1897-1944) a récemment fait l’objet d’un livre et d’un documentaire, El hombre que estaba ahí. Le documentaire a été traduit en français.

Article publié sur Pourparlers le 29 mars 2014

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